Pis toi, comment ça va?

Pis toi, comment ça va? Tout le monde m’appelle pour prendre des nouvelles. Moi, la fille qui déteste parler au téléphone.

Je réalise pas. Ça va bien que je réponds. Je réponds tout le temps ça anyway. Les appels durent peu de temps, un petit small talk que je comprends pas vraiment. Ça arrivait jamais avant. Tous mes appels finissent par appelle-moi quand tu veux, on va se parler, même si c’est pour se dire rien. J’ai un petit rire mal à l’aise. Chaque fois que je raccroche, je regarde le chat pis je lui dis que c’est l’apocalypse. Il continue de se licher le cul, pas stressé.

Je décide de prendre une marche. Faut que je sorte un peu. Je passe ma vie à gauche à droite, dans les restos, les bars ou au bureau à regretter ma veillée. Je suis jamais tu seule. Sauf quand ça me tente.

Je croise personne en marchant. En plus il pleut, quel temps déprimant. Pis je suis menstruée jour 1, salut la belle journée. Partout, dans les fenêtres y’a des petits arcs-en-ciel. Si c’était mes enfants je leur aurais dit qu’ils avaient dépassés, les lignes font aucun esti de sens, mais je pense que c’est pu vraiment important.

Les arcs-en-ciel. Le symbole de l’espoir, le symbole des jours ensoleillés où on va pouvoir aller marcher pis se frôler sans culpabilité sans distance à respecter, l’encouragement collectif pour nous dire que ça va ben aller. Je rentre chez nous avec les yeux pleins d’eau.

J’ai réalisé. On m’appelle parce que je suis seule. J’ai pas de colocataire, je suis célibataire, sans enfant. On m’appelle pour briser mon isolement. On m’appelle pour me dessiner des arcs-en-ciel. Avec une conversation anodine, qui dure pas longtemps, on m’offre un bricolage rassurant. Comme des p’tits câlins tout l'temps. 

J’me suis demandé, ou est-ce que ça chié? Pourquoi c’est pas moi qui regarde les passants au travers des arcs-en-ciel de mes enfants collés dans l’entrée? Pourquoi c’est pas moi qui Facetime mes amies célibataires en allant promener mon chien avec mon chum? Y’a pas vraiment de réponse à tout ça, en fait, y’a rien qui a chié. Ça me remet juste mes décisions des dernières années en pleine face.

J’ai trouvé ça touchant. Qu’on pense à moi pendant ces moments et qu’on prenne le temps de m’appeler. Je suis bien entourée. Oui, c’est de la criss de marde ce qui arrive présentement. On peut pas dire le contraire. On est stressés à longueur de journée en attendant les points de presse, on se sent profondément seul, on a pu de routine, une hygiène douteuse, on a beaucoup trop de temps et fait le tour de Netflix.

Petits ou grands, quand on voit un arc-en-ciel, c’est tellement un phénomène rare, que c’est sûr que ça te trace un sourire dans la face. Comme si t’étais chanceux d’être là au bon endroit au bon moment. C’est la rencontre d’un temps de fesses pis d’un rayon lumineux qui veulent vivre en même temps. C’t’un peu ça ce qu’on vit.

Les arcs-en-ciel sont tout ce qui nous reste.

Sauf que la pandémie ça amène aussi du beau.  On passe nos vies concentrées sur notre nombril. À tout le temps se dire que ça peut attendre. Que rien est grave. Ce mouvement qui peut avoir l’air de simples gribouillis dans les fenêtres, c’est tout ce qui nous reste entre humains qui se connaissent zéro, de se dire hey mon chum, on est là, nous autres aussi on est enfermés à la maison à regarder nos placements dégringoler, à se demander combien de temps la ligne à l’épicerie va durer avant que je puisse rentrer sans savoir si ça va me tuer, à se demander comment on va bientôt payer le loyer.

C’est pas juste pour occuper les enfants. C’est pour le moral des grands aussi. On est tous dans le même bateau. Faut juste pas être cave, vouloir être capitaine de son bateau et faire cavalier solo. C’est un projet plus gros que ça.

Ça va bien aller. On me l’a dit. 

 

Merlin Pinpin